L'ETNA,

UN VOLCAN SITUE DANS UN CADRE GEODYNAMIQUE PARTICULIER

*** Thierry Delval ***

1 ) Volcanisme et tectonique des plaques

On ne compte plus les multiples apports de la tectonique des plaques ou tectonique globale aux différentes disciplines de la géologie. On a parlé à juste titre d'une révolution dans les sciences de la terre. Cette théorie "propose un dénominateur commun pour des phénomènes aussi variés que les transferts de matière et d'énergie à l'intérieur de notre planète, l'évolution des océans, la surrection des montagnes, la sédimentation, la répartition géographique des animaux et végétaux anciens ainsi que, bien entendu, la distribution des séismes et des volcans." (Tanguy, 1999).

On recense actuellement 1000 à 1500 volcans dont les activités ont été vécues ou rapportées par des légendes.

La plupart sont situées dans les zones de frontière de plaques : figure 1 , figure 2 et figure3.

(1) Soit à l'aplomb des zones d'écartement de plaques ou zones d'expansion océanique caractérisées par l'existence d'une dorsale océanique, c'est à dire une chaîne volcanique

sous-marine. La totalité de ces dorsales mesure 60 000 km de longueur.

(2) Soit au voisinage des zones de convergence de plaques (= zone de subduction) où une plaque passe sous une autre en plongeant dans le manteau : figure 3 et figure4.

Les régions de collision entre 2 plaques continentales (Himalaya, Alpes...), sous compression, ne sont ordinairement pas volcaniques.

(3) Les effusions de basaltes observées à l'intérieur de certains continents (est de l'Afrique, voire Massif Central, Alsace...) peuvent être rattachées aux tous premiers stades de la formation d'un océan : le continent se "casse" en 2 parties séparées par un fossé d'effondrement (Rift Valley en Afrique de l'est, Alsace...), prémices de l'océan.

(4) Enfin, il existe quelques rares volcans intraplaques qui n'ont manifestement aucune relation ni avec les dorsales, ni avec les zones de subduction. Ils sont situés soit en contexte océanique ( Hawaii, Réunion...) soit en contexte continental (Yellowstone...). On imagine qu'ils sont la manifestation de points chauds correspondant à des remontées rapides et très localisées de matière depuis les régions profondes du globe, probablement de l'interface noyau/manteau : figure4.

On constate qu'il existe une corrélation entre le contexte géodynamique, le type de volcanisme et la nature des laves émises les plus fréquentes.

Le tableau ci dessous résume les principales corrélations observées.


La relation entre la nature des laves et le dynamisme volcanique s'explique simplement. Schématiquement, plus une lave est riche en SiO2, plus elle est visqueuse et plus le volcanisme est explosif. Inversement, plus elle est pauvre en silice, plus elle est fluide. Les laves ayant plus de 60% de silice sont dites "acides", les laves ayant moins de 52% de silice sont la plupart du temps "basiques". Signalons toutefois que la viscosité d'une lave dépend aussi de sa température et de sa teneur en gaz.

Mais comment expliquer la relation entre contexte géodynamique et nature des laves ?

2 ) Genèse des magmas dans le manteau supérieur

L'ensemble du manteau terrestre est solide. Cependant la portion du manteau comprise entre 100 et 300 km de profondeur, appelée asthénosphère, est très déformable car les conditions de pression et de température qui y règnent sont proches de celles de la fusion des péridotites, roches constituant le manteau terrestre : figure5.

Cette plasticité permet une "convection à l'état solide" du manteau à l'échelle géologique.

Les mouvements sont très lents, de l'ordre de quelques cm par an mais ils entraînent la matière chaude plus légère des profondeurs vers la surface de la terre, tandis que d'autres mouvements assurent un transfert

horizontal et que d'autres encore font descendre la matière refroidie qui est plus lourde.

Cette convection explique le volcanisme. Prenons le cas des dorsales océaniques : la tomographie sismique montre qu'elles sont toujours situées au-dessus de la branche ascendante d'une cellule de convection. Comme la dissipation de chaleur est insignifiante par rapport à la vitesse de montée, la décompression amène la péridotite vers son point de fusion et elle commence à fondre.

Le graphique ci-dessous représente en (1) le chemin pression-température suivi par cette péridotite.

La fusion du manteau est toujours partielle.

Elle n'affecte que les minéraux les plus fusibles de la péridotite mantellique. La composition du magma naissant dépend donc entre autres facteurs du taux de fusion partielle. Comme autres facteurs contrôlant la nature du magma primaire citons notamment : la pression, la température, la teneur en eau, C02 etc... du milieu.

Sous une dorsale, le taux de fusion partielle atteint 20 à 30 % à cause surtout de la faible profondeur du lieu de fusion.

Cette profondeur est bien supérieure sous un rift continental ( cf graphique, cas (2)) d'où un taux de fusion partielle de quelques % seulement engendrant un magma primaire très différent de celui des dorsales océaniques. Dans les zones de subduction, c'est l'abondance de l'eau provenant de la déshydratation de la plaque plongeante qui permet une fusion du manteau à basse température ( 900° eu lieu de 1200° ) : voir graphique, cas (3). Le magma primaire est dans ce cas encore différent. On comprend donc le rôle du contexte géodynamique sur la nature des magmas. Les 4 principaux sites géodynamiques retenus dans le premier paragraphe sont ainsi illustrés dans le graphique ci-dessus. On constate que le premier liquide est généralement basaltique ou andésitique.

Là où il est né, le magma est généralement plus léger que les roches qui l'entourent : densité de 3 contre 3,5 à 150 km de profondeur sous un rift continental ( cas 2 ) ou 2,7 contre 3,3 sous une dorsale océanique ( cas 1 ). Il est donc poussé vers le haut par la force d'Archimède comme un bouchon de liège plongé dans l'eau. Ce faisant, il se sépare de sa matrice rocheuse. Les magmas peuvent monter tant qu'ils sont moins denses que les roches avoisinantes, mais en général, cette condition n'est pas remplie près de la surface. La densité des roches sédimentaires et granitiques est voisine de 2,2 à 2,7. Le magma devient plus dense que les roches encaissantes. Il n'est plus poussé vers le haut. D'un mouvement vertical, on passe à une propagation horizontale beaucoup plus lente : le magma s'accumule et forme un réservoir appelé "chambre magmatique". Sous les volcans continentaux, on trouve ainsi en général un réservoir vers 20 à 30 km de profondeur c'est à dire à la limite entre la croûte peu dense (granite et roches sédimentaires) et le manteau dense ( péridotite). C'est par exemple le cas de l'Etna.

La chambre magmatique joue un rôle fondamental. Elle sert d'accumulateur de magma et permet l'éruption rapide de grands volumes de magma alors que la source profonde a un débit lent. Avec le temps, la température diminue et des minéraux cristallisent ce qui modifie la composition chimique du liquide restant. Il s'agit d'une différenciation magmatique par cristallisation fractionnée au cours de laquelle le liquide résiduel s'enrichit en silice et en éléments volatils dont l'eau. Eventuellement, les volatils atteignent la limite de solubilité et une phase gazeuse apparaît. Ce mélange de liquide et gaz est moins dense que le liquide seul. A masse constante, une baisse de densité entraîne une augmentation de volume et donc de pression : le réservoir se dilate. Si la dilatation se poursuit, les parois du réservoir commencent à se fissurer. Lorsque la fissuration a commencé, rien ne peut l'arrêter et l'éruption est inévitable. En effet, l'ouverture d'un chemin au magma provoque une brusque décompression dans le système d'alimentation d'où une détente des gaz ce qui renforce le phénomène. C'est un effet "boule de neige"! Les gaz, plus mobiles que le liquide, sont violemment expulsés en surface en entraînant du magma fragmenté (donnant en se solidifiant dans l'air les scories, bombes, lapillis et cendres) : C'est la phase spectaculaire de fontaine de lave qui caractérise en général le début des éruptions des volcans basaltiques. La partie restante de magma, partiellement dégazée est ensuite émise sous forme de coulées de lave plus calme jusqu'à la fin de l'éruption. Cette succession d'événements se reproduit pour chaque éruption tant que le réservoir est alimenté et non entièrement cristallisé. La durée de vie d'un volcan se chiffre en centaines de milliers d'années voire en millions d'années...



3) Le cas de 1'Etna

Il ne fait évidemment pas partie d'une dorsale océanique ni d'un rift continental... Mais curieusement, bien que porté par une croûte continentale, il semble alimenté par une source magmatique mantellique comparable à celle qui engendre les basaltes tholéitiques d'une dorsale... Pour renforcer les caractéristiques paradoxales de ce volcan, on constate qu'il est situé non loin de l'arc insulaire éolien mais on ne détecte pas de traces de matériaux subductés dans ses laves.. .L'Etna n'est donc pas non plus un volcan d'arc insulaire ! Il est pourtant probable que sa formation soit liée à la géométrie particulière de la zone de subduction de la plaque océanique ionienne sous la plaque tyrrhénienne également océanique.

Comment faire une synthèse cohérente de l'ensemble de ces données ?

C'est à cette tâche que se sont attelés 2 chercheurs: Zohar Gvirtzman et Amos Nur. Leurs résultats sont parus dans un article récent de la revue Nature (octobre 1999). Le texte ci-dessous en est directement inspiré.

Les figures 6 et 7. montrent que l'Etna n'est pas situé au dessus de la plaque ionienne plongeante mais à sa périphérie côté plaque africaine et beaucoup plus près de la ligne de chevauchement (subduction) des 2 plaques ionienne et tyrrhénienne que de l'arc insulaire éolien.

Ces observations, une étude gravimétrique régionale et le fort taux de fusion partielle sous l'Etna a conduit ces 2 auteurs à présenter le modèle en 3 dimensions de la tectonique des plaques concernées décrit en figures 8 et 9.

On y observe une position anormalement élevée de l'asthénosphère qui vient directement en contact avec le moho (limite croûte-manteau) vers 20 km de profondeur sous la Calabre. Habituellement, l'asthénosphère se trouve à une centaine de kilomètres de profondeur, un manteau lithosphérique rigide séparant le moho de l'asthénosphère.

Cette remontée de 1'asthénosphère expliquerait le soulèvement récent de la Calabre par un rééquilibrage isostatique. En effet, l'asthénosphère, plus chaude est un peu moins dense que le manteau lithosphérique qui devrait "normalement" occuper sa place.

L'étude des paléorivages calabrais montre que cette surrection daterait de 500 à 700 000 ans soit peu de temps avant la naissance de l'Etna. Ce dernier pourrait donc résulter de cette montée asthénosphérique.

Habituellement, dans une zone de subduction, Il n'y a pas une telle remontée de l'asthénosphère ( figure 3) et la lithosphère plongeante reste en contact avec la lithosphère chevauchante. Ici, la séparation des 2 lithosphères par le "diapir" asthénosphérique est nette ! Cette séparation aurait été provoquée par le "roll back"( flexure en rouleau ) de la plaque ionienne plongeante d'où un recul du front de subduction vers le sud-est (cf. ligne en pointillé sur la coupe A-A' de la figure 9 ), une extension de l'extrémité Sud-Est de la lithosphère tyrrhénienne (océanisation) et le soulèvement de la Calabre.

Comme le montre la coupe B-B' de la figure 9 , cette séparation des 2 lithosphères a entraîné aussi un véritable "appel" de matière asthénosphèrique latéral depuis notamment le dessous de la plaque africaine (100 km de profondeur ) vers l'espace devenu "vacant" situé entre la plaque tyrrhénienne chevauchante et la plaque ionienne plongeante (20 km de profondeur).

Ce flux de matière mantellique a été important et rapide, effectué dans des conditions adiabatiques et s'est donc accompagné d'un fort taux de fusion partielle ( 20 à 30% ) consécutif à la décompression.

Le magma ainsi engendré est ensuite monté en profitant d'un réseau de failles profondes organisés selon plusieurs directions se recoupant dans la région de l'Etna ( figure 6 ).

Le modèle de ces 2 auteurs permet ainsi de comprendre la nature tholéitique des basaltes fréquents sur l'Etna surtout pendant les premières centaines de milliers d'années de vie du volcan. Aujourd'hui, les magmas émis sont plus alcalins; il est probable que la composition du magma primaire se modifie dans un sens alcalin à cause de taux de fusion du manteau moins intenses.

Enfin sa localisation particulière n'est sans doute pas étrangère à la grande productivité magmatique de l'Etna et à son activité quasi permanente : avec un taux moyen de production effusive de 0,68m3/s pour les 50 dernières années, l'Etna se place devant le Piton de la Fournaise (0,3m3/s) mais bien sûr derrière le Kilauea à Hawaii (1 ,4m3/s).





BIBLIOGRAPHIE

* Dossier sur les volcans, Géochronique n°70, juin 1999.

* La planète terre, par J.M. Caron et al, Ophrys, 1989.

* Les volcans par C. Jaupart, Dominos-Flammarion, 1998.

* Les volcans par J.C.Tanguy, J.P. Gisserot, 1999.

* L'Etna et le monde des volcans, J.C. Tanguy et G. Patane, Diderot, 1996.

L'Etna: évolution structurale, magmatique et dynamique d'un volcan "polygénique" par G. Kieffer et J.C. Tanguy, Mém. Soc. Géol. Fr., 1993, 163.

* The formation of Mount Etna as the consequence of slab rollback by Z.Gvirtzman and A. Nur, Nature, Vol 401, 21 oct. 1999.

Volcans vus de l'espace par F.Girault, P.Bouysse, J.P.Rançon, Nathan, 1998.

FIGURE 1 ** Retour au texte **

FIGURE 2 ** Retour au texte **

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FIGURE 6 ** Retour au texte **

FIGURE 7 et 8 ** Retour au texte **

FIGURE 9 ** Retour au texte **